LA TAPISSERIE AU XIXe SIÈCLE                      455
traditions dans la tenture des Amours des dieux, étaient en pleine défaveur et avaient fait place aux scènes tirées de l'histoire de France, d'après Berthélemy, Su vée, Duranteau ou Ménageot, et aux sujets empruntés à la vie de Henri IV par le peintre Vin­cent. On en était arrivé à réduire les tapissiers à n'être que les serviles copistes de tableaux.sans caractère décoratif.
Vivement attaquée dans les feuilles révolutionnaires, la manufac­ture dut restreindre ses dépenses au strict nécessaire. Le ministre Roland eut l'idée d'intéresser l'industrie privée à la direction et aux travaux des Gobelins. En d'autres circonstances, ce sys­tème aurait pu donner des résultats avantageux. Il eut pour con­séquence de faire renvoyer les trois peintres attachés à l'établisse­ment : Belle, Peyron et Malaine. Le chimiste inspecteur de l'atelier de teinture fut également remercié. Enfin Guillaumot, devenu sus­pect, dut céder la place à Audran, l'ancien entrepreneur. Ce dernier n'offrait pas sans doute des garanties suffisantes de civisme, car il fut arrêté le 13 novembre 1793 et enfermé à Sainte-Pélagie, où il passa six mois. Augustin Belle, fils de l'ancien sous-inspec-teur, le remplaça pendant ce temps.
A la suite de cette nomination, plusieurs tentures offrant des emblèmes féodaux ou contre - révolutionnaires sont brûlées au pied de l'arbre de la liberté, le 30 novembre 1793. Peu après, un jury d'artistes est chargé de faire un choix parmi les modèles,.et de frapper d'exclusion tous ceux où se verraient des sujets ou attributs incompatibles avec les mœurs républicaines. En septembre 1794, le jury consacre seize séances à l'examen et. au classement des modèles. On a les procès - verbaux de ces opérations. Ces docu­ments établissent clairement que le rôle décoratif de la tapisserie échappait entièrement aux juges. Sur trois cent vingt-un cartons, soumis à leur examen, vingt seulement trouvèrent grâce devant ces farouches puritains; douze pièces en cours d'exécution étaient supprimées, commé représentant des scènes en opposition avec les idées révolutionnaires.
Les vieux modèles sont remplacés par des tableaux de peintres contemporains, dont l'histoire grecque ou romaine fait presque constamment les frais. Le jury adopte les sujets suivants : Zeuxis choisissant un modèle parmi les plus belles filles.de la Grèce, par Vincent ; Brutus et le Serment des Horaces, de David ; enfin la compo­sition de Regnault, intitulée la Liberté ou la mort! En même temps,